13 décembre 2025
M comme Mère Noël - La Muse Invisible
M comme Mère M comme Mère Noël - La Muse Invisible
Chapitre 1 : Le réveil dans le chaos
Mère Noël se réveille avec un goût de cannelle sur la langue. Étrange. Elle n'a pas fait de cookies hier soir... n'est-ce pas ?
Elle cligne des yeux dans la lumière douce du matin. Quelque chose ne va pas. L'air sent la vanille, le safran, et quelque chose d'autre - une épice qu'elle ne parvient pas à identifier.
Elle pose ses pieds nus sur le parquet froid. Et elle les voit.
Des miettes.
Roses, bleues, vertes, dorées. Elles brillent légèrement dans la lumière du matin, comme des confettis oubliés par une fête qu'elle n'a pas donnée. Elles forment un chemin irrégulier qui mène de son lit vers la porte de la chambre.
Elle suit ce sentier scintillant, perplexe.
Dans le couloir, les miettes continuent. Elles descendent l'escalier, traversent le hall, et mènent vers...
La cuisine.
Elle pousse la porte et s'arrête net.
Sur la longue table en bois, sept théières sont alignées. Toutes différentes - en porcelaine, en argent, en cuivre patiné. Et toutes, absolument toutes, sont en train de verser.
Elles se penchent dans les airs, comme tenues par des mains invisibles, et versent dans des tasses disposées en cercle.
Mais ce qu'elles versent...
C'est du vide.
Mère Noël s'approche lentement. Oui, quelque chose coule - elle le voit à la façon dont l'air tremble, ondule. Comme de l'eau invisible. Comme de la lumière liquide. Mais les tasses restent désespérément vides.
Elle tend la main vers l'une d'elles. Ses doigts touchent quelque chose de frais, de léger. Une substance transparente qui glisse entre ses doigts sans les mouiller.
De l'essence. De l'étoffe de rêve. Du vide fait liquide.
FLASHBACK
"Écoutez-moi bien, mes petits," dit Mère Noël en regardant les six lutins assis en cercle autour d'elle dans la salle de classe. "Aujourd'hui, nous allons parler du vide et du plein."
Fanfan lève la main, ses yeux pétillants de curiosité. "Mais Mère Noël, le vide, c'est quand il n'y a rien, non ?"
Elle sourit. "C'est ce que beaucoup pensent. Mais le vide n'est jamais vraiment vide. Il est plein de possibles. Plein de tout ce qui pourrait être."
Elle fait apparaître deux boîtes devant eux. L'une est remplie de jouets colorés. L'autre est vide.
"Laquelle de ces boîtes a le plus de potentiel ?" demande-t-elle.
Les lutins regardent la boîte pleine, puis la boîte vide.
"La vide !" s'exclame Tintin, le plus jeune. "Parce qu'on peut y mettre tout ce qu'on veut !"
"Exactement. Le vide est un espace d'accueil. Le plein est un espace de manifestation. Les deux sont nécessaires. On ne peut remplir une tasse déjà pleine. On ne peut créer dans un espace déjà occupé."
Elle fait un geste et du thé chaud apparaît dans la boîte vide.
"Le vide permet au plein d'exister. Et le plein donne sens au vide."
RETOUR AU PRÉSENT
Mère Noël regarde les théières qui versent le vide dans les tasses.
A-t-elle fait ça ? La nuit dernière ? Dans son sommeil ?
Qu'est-ce qu'elle essayait de se dire ?
Elle quitte la cuisine, troublée, et se dirige vers le salon.
Et là, elle s'arrête de nouveau.
Le sapin.
Son magnifique sapin de Noël de trois mètres.
Est au plafond.
Les racines touchent le plafond. Les branches pendent vers le bas, ornées de boules qui se balancent doucement comme des fruits étranges. L'étoile au sommet - ou plutôt à la base maintenant - repose sur le sol, brillant faiblement.
"Qu'est-ce que..."
Ses yeux montent le long du sapin inversé. Et c'est là qu'elle le voit.
Au plafond, là où personne ne pense jamais à regarder, il y a... quelque chose.
Un espace. Un atelier. Une chambre.
Des livres flottent, dos en l'air. Des carnets ouverts montrent des pages couvertes d'écriture qu'elle ne se souvient pas avoir écrite. Des toiles sont accrochées à l'envers, montrant des paysages impossibles. Un atelier de chimiste avec des fioles colorées défie la gravité.
Et partout, des objets. Ses objets. Des choses qui lui plaisent.
Des mandragores dans des pots suspendus. Des pierres précieuses qui brillent doucement. Des représentations des quatre éléments - une flamme éternelle dans un globe de verre, une sphère d'eau en lévitation, un courant d'air visible, une motte de terre flottante.
Et des fenêtres. Des dizaines de fenêtres qui ne donnent pas sur l'extérieur mais sur... ailleurs. D'autres mondes. D'autres temps. D'autres possibles.
Son sanctuaire.
Son refuge secret.
Qu'elle a créé, apparemment, sans s'en souvenir.
Le sapin à l'envers déclare quelque chose. Un message qu'elle s'est laissé à elle-même :
Il n'y a pas de sens. Pas de conditionnement. Pas de logique. Juste... la liberté.
FLASHBACK
Mère Noël est petite. Très petite. Peut-être six ou sept ans.
Elle court dans les montagnes blanches, ses pieds nus laissant de petites empreintes dans la neige fraîche. Le vent joue avec ses cheveux. Le soleil se couche, peignant le ciel de rose, d'orange, de violet.
Elle s'arrête au sommet d'une crête. Devant elle s'étendent des montagnes à perte de vue. Toutes blanches. Toutes parfaites.
Trop blanches.
Elle plonge sa main dans sa poche et en sort une poignée de poudre rose. Elle ne sait pas d'où elle vient. Elle est juste... là. Elle a toujours été là.
Elle souffle dessus.
La poudre s'envole, portée par le vent, et se dépose sur les montagnes. Doucement. Délicatement. Comme un peintre qui colore une toile.
Et les montagnes blanches deviennent roses.
Roses comme les rêves. Roses comme l'espoir. Roses comme le matin qui se lève.
Elle sourit. C'est joli. C'est elle.
Elle court plus loin, sautant de rocher en rocher. Le ciel est maintenant presque violet, parsemé de quelques nuages bas.
Elle saute. Plus haut. Plus haut encore.
Et elle attrape un nuage.
Il est doux entre ses mains. Sucré. Elle le porte à sa bouche et mord dedans.
Il fond sur sa langue comme du coton à sucre. Il goûte la vanille, le miel, et les rêves d'enfants.
Elle rit, la bouche pleine de nuage.
"Tu aimes manger les nuages, petite fée ?"
Elle se retourne.
Quelqu'un se tient là. Grand. Très grand. Avec de longs cheveux blancs qui flottent dans le vent même s'il n'y a pas de vent. Des yeux clairs - gris ? bleus ? argent ? - qui la regardent avec une infinie bienveillance. Il porte une tunique simple, blanche comme les montagnes, mais brodée de fils d'or qui semblent bouger tout seuls.
Elle ne connaît pas son nom. Elle ne sait pas qui il est. Mais elle sait qu'il est bon. Qu'il lui veut du bien.
"Oui," répond-elle, la bouche encore pleine. "Les nuages sont délicieux."
Il sourit. Un sourire qui réchauffe comme le soleil.
"Continue de manger les nuages, petite fée. Continue de colorer les montagnes. Le monde a besoin de créatures comme toi. Qui voient la beauté. Qui la créent. Qui ne suivent pas les chemins tracés."
Il tend une main et touche doucement son front.
"Souviens-toi de ça. Quand le monde voudra t'enfermer dans des cases. Souviens-toi que tu es celle qui mange les nuages et peint les montagnes en rose."
Puis il disparaît.
Comme s'il n'avait jamais été là.
Mais son parfum reste. Encens et cèdre. Sagesse et liberté.
RETOUR AU PRÉSENT
"Qu'est-ce que c'est que ça ?"
Mère Noël sursaute. Une voix aiguë vient de briser ses pensées.
Elle se retourne. Un petit lutin se tient dans l'encadrement de la porte du salon, les bras croisés, l'air réprobateur malgré ses joues rondes et ses yeux pétillants.
Fanfan.
"Fanfan," dit-elle d'un ton mi-sévère, mi-amusé. "Tu ne vas pas commencer."
Il lève un sourcil - un geste qu'il a appris d'elle et qu'il utilise à outrance.
"Commencer quoi, Mère Noël ? Je constate juste que le sapin est au plafond. Ce qui est, disons... inhabituel."
"Dois-je te rappeler," rétorque-t-elle en s'approchant de lui, "toutes les bêtises que tu m'as faites, petit ?"
Il devient immédiatement rouge. Ses oreilles pointues rosissent.
"Je... euh... c'était il y a longtemps..."
"Ah oui ? Et la semaine dernière, quand tu as mis du poivre magique dans les cookies du Père Noël et qu'il a éternué des étincelles pendant deux jours ?"
Fanfan baisse la tête, penaud.
"C'était drôle," marmonne-t-il.
"C'était dangereux. Il a failli mettre le feu à la bibliothèque."
Fanfan s'en va, la tête basse, les joues encore rosies. Mais elle voit le petit sourire au coin de ses lèvres. Il sait qu'elle n'est pas vraiment fâchée.
Elle ne pourrait jamais vraiment être fâchée contre Fanfan.
Pas contre son tout premier.
FLASHBACK
La nuit est froide. Le vent hurle à travers les arbres. Mère Noël marche le long du fleuve, une lanterne à la main, son souffle formant de petits nuages blancs devant elle.
Elle sait pourquoi elle est là.
L'instinct. Celui de la tigresse. Celui qui la guide toujours vers eux.
Les bébés.
Elle s'arrête. Elle écoute.
Et elle l'entend.
Un cri. Faible. Strident. Désespéré.
Le cri de l'abandon.
Elle court. Ses pieds nus glissent sur les rochers mouillés mais elle ne tombe pas. La licorne en elle la guide, gracieuse et sûre.
Là. Dans le fleuve. Un petit panier d'osier flotte, ballotté par le courant.
Elle n'hésite pas. Elle plonge dans l'eau glacée.
Le froid lui coupe le souffle mais elle nage. Fort. Vite. La tigresse ne sent pas le froid quand ses petits sont en danger.
Elle attrape le panier. Elle le tire vers la rive.
À l'intérieur, enveloppé dans un linge trempé, un bébé pleure.
Un bébé magique.
Elle le sent immédiatement. L'aura qui l'entoure. Douce. Lumineuse. Mais terrifiée.
Ses parents l'ont abandonné. Par amour ou par peur, elle ne sait pas. Peut-être les deux. Pour le sauver des bûchers. Pour le sauver de ceux qui brûlent les enfants différents.
Elle sort de l'eau, le panier dans ses bras.
Le bébé la regarde. Ses yeux - immenses, noirs comme la nuit - la fixent. Il a arrêté de pleurer.
"Je te tiens," murmure-t-elle. "Je te tiens, petit. Tu es en sécurité maintenant."
Elle dépose le panier sur la rive et ouvre son sac. Elle en sort un drap blanc. Propre. Sec. Chaud.
Elle le déplie - et pendant un instant, il semble immense, infini, comme s'il pouvait envelopper le monde entier.
Elle sort doucement le bébé de son linge trempé. Il tremble. Sa peau est bleue de froid.
Elle l'enveloppe dans le drap blanc.
Et quelque chose se passe.
Le drap brille. Une lumière douce, dorée, l'enveloppe. Le bébé cesse de trembler. Ses lèvres reprennent leur couleur rose. Il soupire - un petit soupir de soulagement - et ferme les yeux.
Elle le presse contre son cœur. Elle le réchauffe avec sa chaleur, sa magie, son amour.
"Bienvenue," murmure-t-elle. "Bienvenue à la maison, petit Fanfan."
Car c'est comme ça qu'elle décide de l'appeler. Fanfan. Son premier. Son miracle.
Elle le ramène au Pôle Nord cette nuit-là. Le Père Noël dort encore. Elle monte dans sa chambre et installe le bébé dans un berceau qu'elle crée d'un geste de la main.
Elle reste là toute la nuit. À le regarder dormir. À s'assurer qu'il respire. À lui chanter doucement des chansons qu'elle ne savait pas connaître.
Des chansons sur les montagnes roses. Sur les nuages qu'on peut manger. Sur un monde où les différents sont célébrés, pas brûlés.
Le lendemain, elle commence à l'éduquer.
Elle lui apprend les cinq sens. Les quatre éléments. Le vide et le plein. La magie de l'imagination.
Et elle lui apprend, surtout, qu'il est aimé.
Qu'il a une place ici. Qu'il n'aura jamais, jamais à se cacher.
RETOUR AU PRÉSENT
Mère Noël regarde Fanfan disparaître au coin du couloir, un sourire tendre aux lèvres.
Son tout premier. Son miracle.
Il y en a eu tant d'autres depuis. Des dizaines. Des centaines peut-être, au fil des siècles.
Tous ces bébés abandonnés, flottant sur les fleuves dans des paniers d'osier. Tous ces petits êtres magiques que leurs parents ont sacrifiés pour les sauver des bûchers.
À l'époque des chasses aux sorcières, les parents qui découvraient que leur bébé avait des pouvoirs devaient faire un choix terrible : le garder et risquer que toute la famille soit brûlée, ou l'abandonner dans l'espoir que quelqu'un, quelque part, le sauverait.
C'est elle qui les trouve. Son instinct de tigresse la guide vers leurs cris. Ce cri strident de l'abandon. Ce cri que personne d'autre n'entend - ou qu'on préfère ignorer.
Quand elle entend ce cri, la licorne et le tigre en elle s'éveillent simultanément. Enfin unis. Enfin synchronisés.
Et elle court.
Elle secoue la tête, chassant ces souvenirs. Ce n'est pas le moment de s'attendrir.
Elle regarde de nouveau le chaos autour d'elle. Les miettes. Les théières. Le sapin inversé.
Et ce sanctuaire au plafond.
Son refuge secret. Son espace à elle.
Elle doit y monter. Elle doit comprendre ce que son côté tigre a créé pendant qu'elle dormait.
Chapitre 2 : Le sanctuaire invisible
Mère Noël cherche un moyen de monter. Une échelle ? Un sort ?
Mais alors qu'elle observe le sapin inversé, elle réalise quelque chose. Ses branches pendent vers le sol. Comme une échelle naturelle.
Elle grimpe.
C'est étrange de grimper dans un sapin à l'envers. Les branches qui devraient pointer vers le haut pointent vers le bas. L'étoile qui devrait être au sommet est maintenant à la base, sur le sol.
Tout est inversé. Comme elle.
Elle monte, branche après branche. Les boules de Noël se balancent autour d'elle comme des fruits étranges.
Et puis elle arrive.
Au plafond. Qui est maintenant son sol.
Elle pose le pied sur... rien. Ou plutôt, sur quelque chose d'invisible qui devient solide sous son poids.
Un plancher magique. Transparent. Qui flotte au plafond pour tout le monde, mais qui est son sol à elle.
Elle se redresse. Et regarde autour d'elle.
Son sanctuaire.
C'est comme entrer dans un autre monde. Un monde qui n'obéit pas aux mêmes règles.
Les livres flottent partout. Des centaines de livres. Certains ouverts, leurs pages tournant doucement dans un vent invisible. D'autres fermés, empilés en tours impossibles qui défient la gravité.
Elle s'approche de l'un d'eux. C'est un livre interdit. Un grimoire ancien sur la magie des femmes. Le genre de livre qu'on brûlait autrefois. Que certains brûleraient encore aujourd'hui.
Elle en ouvre un autre. Des sorts pour voyager dans le temps. Un autre sur les herbes magiques. Un autre sur la communication entre les mondes.
Tous interdits. Tous dangereux. Tous précieux.
Elle continue d'explorer.
Des carnets sont éparpillés sur un bureau qui flotte. Elle les ouvre. Son écriture. Mais elle ne se souvient pas d'avoir écrit ces mots.
"Aujourd'hui, j'ai aidé une jeune femme qui voulait devenir médecin. Tout le monde lui disait que c'était impossible pour une femme. Je lui ai soufflé à l'oreille : 'Tu es capable.' Elle a souri dans son sommeil."
"Cette nuit, j'ai sauvé deux bébés. Des jumeaux. Leurs parents les ont abandonnés dans le fleuve avec une lettre : 'Pardonnez-nous. Mais nous préférons qu'ils vivent loin plutôt que de les voir brûler.' Ils sont maintenant dans la nurserie avec les autres. Les fées marraines s'en occupent."
"Le Père Noël m'a demandé aujourd'hui pourquoi j'avais l'air fatiguée. Je lui ai dit que j'avais mal dormi. Je ne peux pas lui dire que je passe mes nuits à sauver des enfants, à inspirer des femmes, à créer dans ce sanctuaire. Il ne comprendrait pas. Ou peut-être qu'il sait. Il a cette façon de savoir sans vraiment savoir, comme Dumbledore."
Elle referme les carnets, le cœur serré.
Son côté tigre écrit. Son côté tigre se souvient. Tout ce qu'elle fait la nuit, il le consigne ici.
Elle continue.
Des toiles sont accrochées aux murs invisibles. Des peintures qu'elle ne se souvient pas d'avoir faites.
Des paysages impossibles. Des femmes qui volent. Des enfants qui dansent avec des étoiles. Des montagnes roses sous un ciel violet.
A-t-elle fait ça ?
Elle touche une toile. Elle est encore humide. Fraîche. Faite cette nuit.
Son côté tigre peint aussi.
L'atelier de chimiste est spectaculaire.
Des fioles de toutes les couleurs sont alignées sur des étagères qui flottent. Des liquides bouillonnent doucement, changeant de couleur - rouge, vert, bleu, doré.
Elle reconnaît certains parfums. La cannelle. Le safran. La rose.
Mais il y en a d'autres. Des essences qu'elle n'a jamais senties consciemment. Des arômes d'autres mondes. D'autres temps.
Elle prend une fiole. Elle est étiquetée : "Courage - pour celles qui ont peur de parler."
Une autre : "Liberté - pour celles qui sont enfermées."
Une autre : "Créativité - pour celles qu'on a fait taire."
Des cookies magiques sous forme liquide.
Les mandragores sont plantées dans des pots suspendus. Elles dorment paisiblement, leurs racines humanoïdes enroulées sur elles-mêmes.
Les pierres précieuses brillent doucement sur une table. Des améthystes, des émeraudes, des rubis. Mais aussi des pierres qu'elle ne reconnaît pas. Des cristaux qui n'existent pas dans leur monde.
Et les quatre éléments.
Une flamme éternelle brûle dans un globe de verre - le feu.
Une sphère d'eau flotte en lévitation, parfaitement ronde - l'eau.
Un courant d'air visible tourbillonne dans un cylindre transparent - l'air.
Une motte de terre riche et sombre flotte doucement - la terre.
Chacun parfaitement équilibré. Chacun contenu. Chacun vivant.
Et puis il y a les fenêtres.
Des dizaines de fenêtres. Peut-être des centaines. Elles sont accrochées partout - aux murs, au plafond, flottant dans l'air.
Mais elles ne donnent pas sur l'extérieur.
Elles donnent sur... ailleurs.
Elle s'approche de l'une d'elles. À travers la vitre, elle voit une rue pavée. Un autre temps. Le 19ème siècle peut-être. Une jeune fille marche, la tête baissée.
Une autre fenêtre montre une bibliothèque immense. Une femme lit en cachette, à la lueur d'une bougie.
Une autre montre une usine. Des femmes travaillent, épuisées, leurs doigts ensanglantés.
Une autre montre une chambre d'hôpital. Une femme donne naissance, entourée d'autres femmes.
Des portails vers d'autres temps. D'autres lieux. D'autres femmes.
C'est ça qu'elle fait la nuit. Elle voyage. Elle inspire. Elle souffle des histoires de liberté à travers les âges.
Chapitre 3 : L'activation de la fenêtre
Mère Noël choisit une fenêtre au hasard. Elle est encadrée de bois ancien, avec des gravures complexes.
À travers la vitre, elle ne voit rien. Juste du brouillard gris.
Elle se souvient des carnets. Des instructions qu'elle s'est écrites à elle-même.
"Pour activer une fenêtre : placer les quatre éléments aux quatre coins. Ajouter le parfum correspondant au temps/lieu souhaité. Ouvrir avec l'intention claire."
Elle prend le globe de feu. Elle le place à l'angle supérieur droit de la fenêtre. Il flotte là, obéissant.
La sphère d'eau à l'angle supérieur gauche.
Le cylindre d'air à l'angle inférieur droit.
La terre à l'angle inférieur gauche.
Les quatre éléments entourent maintenant la fenêtre.
Quel parfum ?
Elle ferme les yeux. Elle laisse son instinct la guider.
Ses pieds la mènent vers l'atelier. Ses mains prennent une fiole. Rose pâle. Étiquetée : "Poudre rosée - enfance - innocence - création pure."
Le parfum de son enfance. Celui qu'elle utilisait pour colorer les montagnes.
Elle retourne à la fenêtre. Elle ouvre la fiole. L'odeur se répand - douce, sucrée, avec une pointe de cannelle et de rêve.
Elle verse quelques gouttes sur le cadre de la fenêtre.
Et la fenêtre s'active.
Le brouillard gris se dissipe. Des images apparaissent. D'abord floues, puis de plus en plus nettes.
Mais ce n'est pas juste visuel.
Elle entend des sons. Des rires d'enfant. Le vent dans les montagnes. Le chant d'un oiseau.
Elle sent physiquement le froid de la neige. La chaleur du soleil sur sa peau.
L'odeur de la poudre rosée s'intensifie, rejointe par d'autres parfums - la terre, la neige fraîche, l'herbe.
Et dans sa bouche, un goût. Sucré. Comme les nuages qu'elle mangeait enfant.
Le VAKOG complet.
Tous ses sens sont engagés. Ce n'est pas juste une vision. C'est une immersion totale.
Chapitre 4 : Le voyage dans le passé
Elle se voit.
Petite fille. Six ou sept ans. Courant dans les montagnes blanches.
C'est étrange de se voir de l'extérieur. Comme si elle était spectatrice de sa propre vie.
La petite fille - elle - rit aux éclats. Elle sort une poignée de poudre rosée de sa poche et la souffle sur les montagnes.
Les montagnes blanches deviennent roses. Magnifiques.
Elle sourit en voyant ça. Elle se souvient de cette sensation. Cette joie pure de créer quelque chose de beau juste parce que c'est beau. Sans raison. Sans utilité. Juste pour le plaisir.
La petite fille court, saute. Elle attrape un nuage. Le porte à sa bouche. Mord dedans.
Elle rit, la bouche pleine de nuage qui fond comme du coton à sucre.
Et puis il apparaît.
Le personnage mystérieux.
Grand. Immense même. Avec de longs cheveux blancs qui flottent dans un vent qui n'existe pas. Des yeux clairs - impossibles à définir, changeant entre gris, bleu et argent. Une tunique blanche brodée de fils d'or qui semblent vivants.
"Tu aimes manger les nuages, petite fée ?" demande-t-il d'une voix douce comme le miel.
La petite fille - elle - hoche la tête, la bouche encore pleine.
"Oui ! Les nuages sont délicieux !"
Il sourit. Un sourire qui réchauffe comme le soleil.
"Continue de manger les nuages, petite fée. Continue de colorer les montagnes. Le monde a besoin de créatures comme toi. Qui voient la beauté. Qui la créent. Qui ne suivent pas les chemins tracés."
Il tend une main et touche doucement le front de la petite fille.
"Souviens-toi de ça. Quand le monde voudra t'enfermer dans des cases. Quand on te dira que ta magie ne doit servir qu'aux autres, jamais à toi. Souviens-toi que tu es celle qui mange les nuages et peint les montagnes en rose. Ta nature est libre. Ne la laisse jamais t'enfermer complètement."
Mère Noël, l'adulte qui regarde, sent les larmes couler sur ses joues.
Il savait.
Il savait qu'elle serait enfermée. Qu'elle devrait cacher son côté tigre. Qu'elle créerait un sanctuaire secret au plafond juste pour avoir un espace à elle.
Il savait. Et il a essayé de la préparer.
Mais qui était-il ?
Un dieu ? Un esprit ancien ? Un gardien des fées ?
Son parfum reste - encens et cèdre. Sagesse et liberté.
La scène change.
La fenêtre lui montre autre chose maintenant.
Un autre temps. Un autre lieu.
Chapitre 5 : La petite Gabrielle
Elle voit un orphelinat. Sombre. Froid. Fin du 19ème siècle, peut-être.
Des petites filles dorment dans des lits étroits. L'une d'elles est éveillée. Elle a environ huit ans. Des yeux noirs perçants. Un visage déterminé même dans la tristesse.
Gabrielle.
Mère Noël la reconnaît immédiatement, même si elle ne l'a jamais vue enfant dans cette vie.
La future Coco Chanel.
Elle se voit - ou plutôt, elle voit son côté tigre - entrer dans la pièce.
Elle est invisible aux yeux normaux. Mais Gabrielle sent quelque chose. Elle se redresse dans son lit, regarde autour d'elle.
Mère Noël s'approche d'elle. S'assied sur le bord de son lit.
Et commence à parler. À murmurer. Une histoire.
"Il était une fois," dit son côté tigre d'une voix douce comme la soie, "une petite fille qui vivait dans un monde où les femmes devaient porter des corsets qui les empêchaient de respirer. Des robes si lourdes qu'elles ne pouvaient pas courir. Des chapeaux si grands qu'elles ne voyaient pas où elles allaient."
Gabrielle écoute, fascinée.
"Cette petite fille grandissait et regardait les femmes autour d'elle. Elles ne pouvaient pas bouger librement. Elles ne pouvaient pas travailler confortablement. Elles étaient enfermées dans leurs vêtements comme dans des cages."
"Alors," continue le côté tigre de Mère Noël, "cette petite fille décida que quand elle serait grande, elle créerait des vêtements différents. Des vêtements qui permettraient aux femmes de RESPIRER. De BOUGER. De COURIR. De VIVRE."
"Elle créerait des robes simples. Des pantalons pour les femmes. Des vêtements qui les libéreraient plutôt que de les emprisonner."
"Et tu sais ce qui se passa ?"
Gabrielle secoue la tête, les yeux brillants.
"Elle le fit. Elle devint créatrice. Et elle changea le monde. Elle donna aux femmes la liberté physique. Elle leur donna le droit de bouger. D'être confortables. D'être ELLES-MÊMES."
Le côté tigre de Mère Noël sort alors quelque chose de sa poche. Un cookie.
Petit. Doré. Sentant la vanille et le courage.
"Tiens," dit-elle en le posant sur la table de nuit de Gabrielle. "C'est un cookie spécial. Il a le goût du courage. Le courage de croire en tes rêves. Le courage de créer ce qui n'existe pas encore. Le courage d'être différente."
Gabrielle prend le cookie. Le sent. Sourit.
"Qui êtes-vous ?" demande-t-elle dans un murmure.
"Je suis... une amie. Une muse. Quelqu'un qui croit en toi. Et je serai toujours là, dans ton cœur, quand tu en auras besoin."
Le côté tigre de Mère Noël se lève. Pose une main sur la tête de Gabrielle.
"Souviens-toi, petite. Ta différence est ta force. Ton regard neuf sur le monde est un cadeau. Ne laisse jamais personne te dire que tu ne peux pas."
Et elle disparaît.
Gabrielle reste assise dans son lit, tenant le cookie. Elle le mange lentement, savourant chaque miette.
Et dans ses yeux, quelque chose s'allume.
Une flamme. Une détermination. Un rêve.
Des années plus tard, elle deviendra Coco Chanel. Et elle révolutionnera la mode féminine. Elle libérera les femmes de leurs corsets.
Tout a commencé avec une histoire chuchotée dans un orphelinat.
Et un cookie magique.
Chapitre 6 : La révélation
La fenêtre se trouble. L'image disparaît.
Mère Noël recule, tremblante.
Elle vient de se voir. Son côté tigre. En action.
C'est ça qu'elle fait. C'est ça qu'elle a toujours fait.
Elle n'est pas juste Mère Noël, l'épouse discrète du Père Noël, celle qui fait des cookies et joue de la harpe.
Elle est la Muse Invisible.
Celle qui voyage à travers le temps et l'espace.
Celle qui souffle des rêves de liberté aux femmes qui en ont besoin.
Celle qui donne des cookies de courage aux petites filles qui changeront le monde.
Et soudain, tout devient clair.
Les miettes multicolores ce matin - elle a fait des cookies cette nuit. Pour qui ? Elle ne sait pas encore. Mais quelque part, une femme se réveillera avec plus de courage qu'hier.
Les théières qui versent du vide - elle enseignait. Même en dormant, elle enseigne. Le vide et le plein. L'invisible et le visible. L'essence des choses.
Le sapin à l'envers - son message à elle-même. "Il n'y a pas de sens. Pas de conditionnement. Pas de logique. Juste la liberté."
Ce sanctuaire au plafond - son espace à elle. Là où personne ne regarde. Où elle peut être entière. Licorne ET tigre. Muse ET mère. Créatrice ET protectrice.
Elle s'assoit sur le sol invisible de son sanctuaire.
Toutes ces années, elle a cru qu'elle devait se cacher. Que sa magie ne pouvait servir que Noël. Qu'elle devait être sage, discrète, invisible.
Mais elle est invisible. Par choix. Par stratégie.
Les muses les plus puissantes sont celles qu'on ne voit pas.
Elle n'a pas besoin d'être sous les projecteurs comme le Père Noël.
Sa force est dans l'ombre. Dans le murmure. Dans le souffle discret qui change tout.
Chapitre 7 : La Sainte Catherine
Mère Noël se souvient soudain. On est le 25 novembre.
La Sainte Catherine.
Le jour où sa magie est la plus puissante. Le jour où elle ne souffle pas juste à l'oreille de quelques femmes, mais où sa vibration se répand universellement.
À travers les ondes radio. Les télévisions. Internet. L'air lui-même.
Ce jour-là, des millions de femmes ressentent quelque chose. Un frisson. Une certitude. Un courage qui surgit de nulle part.
Elles ne savent pas d'où ça vient. Elles pensent que c'est juste une bonne journée. Un moment de clarté.
Mais c'est elle.
Sa harpe qui joue des notes que seules les âmes entendent. Ses parfums qui voyagent sur les ondes invisibles. Ses cookies de courage qui se matérialisent dans les rêves.
Et surtout, ses bulles invisibles.
Elle crée des bulles protectrices autour des femmes en danger. Contre les violences physiques. Contre les violences psychologiques. Des bulles qui ne les rendent pas invincibles, mais qui leur donnent un moment de répit. Un moment pour respirer. Pour réfléchir. Pour agir.
C'est épuisant. Ce jour-là, elle est vidée. Le Père Noël lui demande toujours pourquoi elle dort autant le 26 novembre.
Elle lui dit qu'elle a mal à la tête.
Elle ne lui dit pas qu'elle a passé 24 heures à protéger des millions de femmes à travers le monde.
Il sait, elle pense. À sa façon. Il a cette distance bienveillante. Il ne pose pas de questions. Il lui laisse ses secrets.
Et il sait que rien ne fonctionnerait sans elle.
Même s'il aime sa place de personnage principal.
Épilogue : La femme complète
"Mère Noël ?"
La voix de Fanfan tire Mère Noël de ses pensées. Elle regarde vers le bas - ou plutôt vers le haut, puisqu'elle est au plafond.
"Oui, Fanfan ?"
"Vous... vous êtes là-haut ?"
Elle sourit. "Oui. Je suis là-haut."
"C'est quoi, là-haut ?"
"Mon secret. Mon refuge. Mon espace à moi."
Un silence. Puis :
"C'est beau ?"
"Oui, Fanfan. C'est très beau."
Elle redescend lentement, glissant le long des branches du sapin inversé.
Quand elle arrive en bas, Fanfan la regarde avec des yeux écarquillés.
"Vous avez l'air... différente."
"Différente comment ?"
"Plus... entière."
Elle sourit. C'est exactement ça.
Entière.
Elle n'est plus divisée. Elle ne cache plus son côté tigre. Elle ne réprime plus sa créativité. Elle ne se limite plus.
Elle est la licorne ET le tigre.
La muse ET la mère.
L'invisible ET la lumière.
Elle est celle qui sauve les bébés dans les fleuves et qui leur donne une nouvelle vie.
Elle est celle qui éduque les lutins avec amour et magie.
Elle est celle qui fait des cookies qui donnent du courage et transforment les peurs.
Elle est celle qui souffle des histoires de liberté à travers les âges.
Elle est celle qui protège les femmes avec des bulles invisibles.
Elle est celle qui nourrit les rêves avec des parfums et des essences immatérielles.
Elle est Mère Noël.
Et sa magie n'a jamais été plus claire.
Cette nuit-là, elle ne fait pas de somnambulisme.
Elle monte consciemment dans son sanctuaire.
Elle ouvre une fenêtre. Elle active les quatre éléments. Elle ajoute un parfum - celui de la liberté et du courage.
Et elle part en voyage.
Il y a une jeune femme en 2025 qui rêve d'écrire mais qui a peur.
Il y a une adolescente qui veut devenir scientifique mais qu'on décourage.
Il y a une femme qui veut quitter un homme violent mais qui n'ose pas.
Elles ont toutes besoin d'entendre une histoire. De recevoir un cookie. De sentir une présence invisible qui leur dit :
"Tu peux. Tu es capable. Ta différence est ta force. N'aie pas peur."
Et c'est ce qu'elle fait.
Parce qu'elle est la Muse Invisible.
Et que sa lumière, bien que cachée, illumine tout.
FIN
Morale de l'histoire : Les plus puissantes ne sont pas toujours celles qu'on voit. Souvent, ce sont celles qui créent dans l'ombre, qui protègent en secret, qui inspirent sans chercher la gloire. Elles sont les muses invisibles du monde. Elles ne demandent pas de reconnaissance. Elles agissent par amour pur. Et leur magie, transmise de cœur à cœur, de génération en génération, change le monde plus profondément que n'importe quel acte visible. Si vous êtes l'une d'elles - si vous créez, protégez, inspirez en secret - sachez que vous êtes vue. Vous êtes précieuse. Et votre lumière compte




