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S comme Sorcière - La Sorcière de Noël et les Gremlins

 

Il était une fois, dans les montagnes enneigées loin de tout village, une Sorcière de Noël. Contrairement à ce que son titre pourrait laisser croire, elle n'était pas méchante. Au contraire, elle était sage, réfléchie, et prenait son rôle très au sérieux.

Depuis des siècles, elle avait sa mission bien définie : distribuer du charbon aux enfants pas sages et des friandises aux enfants sages. Un travail simple, clair, efficace. Enfin... c'est ce qu'elle avait toujours cru.

Cette année-là, alors qu'elle faisait l'inventaire de son stock dans sa grande cave sombre éclairée par des chandelles vacillantes, elle se figea devant ses étagères.

Des montagnes de charbon. Des sacs et des sacs empilés jusqu'au plafond, débordant de tous côtés.

Et dans le coin, un tout petit panier de friandises. À peine de quoi remplir une dizaine de chaussettes.

« Mmmh, » murmura-t-elle en se grattant le menton. « Voilà qui est problématique. »

Elle était sage de nature, la Sorcière. Elle ne se mettait jamais en colère, ne criait jamais, réfléchissait toujours avant d'agir. Mais là, devant ce déséquilibre flagrant, elle sentit quelque chose de désagréable monter en elle.

De la frustration.

Car voyez-vous, la Sorcière de Noël avait un autre problème. Un problème qu'elle n'osait jamais vraiment s'avouer, mais qui la rongeait chaque année un peu plus.

Elle en avait assez d'être reléguée au second plan.

Le Père Noël ! Toujours le Père Noël ! C'était lui que les enfants attendaient avec impatience. Lui dont on chantait les louanges. Lui qu'on représentait partout avec son gros ventre et sa barbe blanche. Les lettres ? Pour le Père Noël. Les biscuits laissés près de la cheminée ? Pour le Père Noël. Les chansons, les histoires, les décorations ? Père Noël, Père Noël, Père Noël !

Et elle ? La Sorcière de Noël, celle qui faisait pourtant un travail tout aussi important ? Personne ne lui écrivait. Personne ne lui laissait de biscuits. On la mentionnait à peine, et quand on le faisait, c'était toujours avec une pointe de crainte.

« Sois sage, sinon la Sorcière de Noël viendra ! »

Comme si elle était un épouvantail. Une menace. Un croque-mitaine.

Alors que le Père Noël, lui, était célébré, adulé, aimé.

Ce n'était pas juste.

La Sorcière regarda à nouveau ses montagnes de charbon et son minuscule panier de friandises, et une idée germa lentement dans son esprit. Une idée qu'une personne moins sage n'aurait peut-être pas eu. Ou peut-être que si, justement.

« Si je veux distribuer mes cadeaux à tous les enfants sans en oublier aucun, » raisonna-t-elle à voix haute, « et si je veux enfin être reconnue à ma juste valeur, il me faut plus de charbon à distribuer. Beaucoup plus. »

Elle sourit lentement, un sourire qui n'avait rien de très sage.

« Il me faut plus d'enfants pas sages. »

Et c'est ainsi que la Sorcière de Noël élabora son plan machiavélique.

Quelques jours avant Noël, elle grimpa au sommet de la plus haute montagne et traça dans l'air froid de la nuit des symboles anciens qui brillèrent d'une lueur verte. Elle murmura des incantations dans une langue oubliée, et une poudre scintillante se répandit dans le vent, portée vers tous les villages, toutes les villes, toutes les maisons où dormaient des enfants.

Le lendemain matin, quelque chose d'étrange se produisit.

Dans une maison, le petit Thomas se réveilla avec une énergie débordante et inexplicable. Il se mit à courir dans les couloirs en criant à tue-tête.

« NOËL ARRIVE ! NOËL ARRIVE ! AAAAH ! »

« Thomas, calme-toi ! » supplia sa mère.

Mais Thomas ne pouvait pas se calmer. Il grimpa sur la table de la cuisine, puis sur le buffet, puis essaya d'escalader les rideaux.

Dans une autre maison, la petite Emma prit ses crayons de couleur et décida que le mur du salon était une toile parfaite pour son chef-d'œuvre. En une heure, elle avait dessiné un arc-en-ciel géant avec des bonhommes partout.

« EMMA ! QU'EST-CE QUE TU AS FAIT ?! » cria son père en découvrant le désastre.

Chez les Dupont, les jumeaux Lucas et Léa trouvèrent les ciseaux et décidèrent que leurs jeans seraient beaucoup plus jolis avec des trous et des franges. Snip ! Snip ! Snip ! Ils découpèrent joyeusement leurs pantalons, puis ceux de leur grand frère pour faire bonne mesure.

Chez la famille Martin, le jeune Antoine cacha des bonbons partout dans la maison – dans les tiroirs, sous les oreillers, derrière les livres, dans les chaussures – créant une véritable chasse au trésor non désirée.

Et la petite Sophie décida que manger dans sa chambre était une excellente idée. Elle y transporta des biscuits, du chocolat, des chips, créant un festin clandestin qui laissa des miettes dans tous les recoins.

Partout, dans tous les foyers, les enfants se transformèrent en véritables gremlins. Ils couraient, criaient, grimpaient, dessinaient, découpaient, cachaient, chapardaient. C'était le chaos absolu. Les parents étaient au bord de la crise de nerfs.

« Qu'est-ce qui leur arrive ?! » « Ils ont mangé trop de sucre ? » « C'est l'excitation de Noël ! » « Mais jamais à ce point ! »

Depuis sa montagne, la Sorcière observait tout cela avec satisfaction. Son plan fonctionnait à merveille. Dans quelques jours, elle aurait assez d'enfants pas sages pour distribuer tout son charbon. Sa réputation de Sorcière sage serait préservée – après tout, elle ne faisait que son travail en punissant les enfants désobéissants. Et surtout, surtout, elle serait enfin au premier plan.

« Cette année, » murmura-t-elle en frottant ses mains, « c'est moi qu'on se souviendra. C'est moi qui aurai accompli la plus grande distribution. Le Père Noël n'aura qu'à bien se tenir. »

La nuit de Noël arriva.

La Sorcière enfourcha son balai, chargea tous ses sacs de charbon (il lui fallut faire plusieurs voyages tellement il y en avait), et commença sa grande tournée.

Maison après maison, elle glissait par les cheminées et déposait du charbon dans les chaussettes des enfants. Du beau charbon noir, bien compact, en quantité généreuse.

« Voilà pour toi, Thomas qui a grimpé partout. » « Voilà pour toi, Emma qui a dessiné sur les murs. » « Voilà pour vous, Lucas et Léa qui avez découpé vos vêtements. »

Elle travaillait avec efficacité, presque avec fierté. Mission accomplie. Distribution réussie. Pas un seul enfant oublié. Son stock de charbon était enfin écoulé.

Quand elle rentra chez elle aux premières lueurs de l'aube, épuisée mais satisfaite, elle se dit que c'était sa meilleure année. Elle avait géré la situation avec sagesse et stratégie. Sa réputation était intacte.

Elle s'endormit avec un sourire.

Mais le lendemain matin, quelque chose se produisit auquel elle n'aurait jamais, jamais pensé.

Dans toutes les maisons, les enfants se réveillèrent et découvrirent le charbon dans leurs chaussettes. Leurs parents s'attendaient à des pleurs, des cris de déception, des « ce n'est pas juste ! »

Mais au lieu de cela...

« DU CHARBON ! » s'exclama le petit Thomas avec des yeux brillants. « Maman ! Papa ! Regardez ! »

« Euh... oui, chéri, » dit sa mère avec embarras. « C'est parce que tu n'as pas été très sage ces derniers jours... »

« Mais c'est génial ! » Thomas courut vers son ami Arthur qui habitait à côté. « Arthur ! Arthur ! Regarde ce que j'ai eu ! »

Arthur, lui aussi, avait reçu du charbon. Les deux garçons comparèrent leurs trésors avec excitation.

« On en a beaucoup ! »

« Attends, je vais demander à mes parents si on peut faire un feu dans la cheminée ! »

Ce fut le petit Marc, dix ans, qui comprit le premier la vraie valeur du charbon. Marc était un enfant curieux qui lisait beaucoup. Il savait que le charbon servait à se chauffer, qu'il avait de la valeur, qu'autrefois on l'appelait « l'or noir ».

« Papa ! » cria-t-il en courant vers son père. « On a du charbon ! Ça veut dire qu'on va pouvoir se chauffer tout l'hiver ! On pourra économiser sur le bois ! Et on pourra en donner aux voisins qui ont froid ! »

Son père cligna des yeux. « Tu... tu as raison. En fait, c'est plutôt pratique. »

Marc se précipita dehors et cria à tous les enfants du quartier : « Le charbon, c'est pas une punition ! C'est un trésor ! On peut se chauffer avec ! On peut réchauffer nos maisons ! Nos familles ! »

L'information se répandit comme une traînée de poudre. De maison en maison, de quartier en quartier, de ville en ville. Les enfants, au lieu d'être déçus, étaient ravis.

« On va pouvoir faire un grand feu pour toute la famille ! » « On va avoir chaud tout l'hiver ! » « C'est mieux que des bonbons qui se mangent en deux minutes ! » « Le charbon réchauffe le foyer et les cœurs ! »

Les parents eux-mêmes commencèrent à voir les choses différemment. Dans un monde où le chauffage coûtait cher, où l'hiver était long et rude, le charbon était effectivement précieux.

« Finalement, » dit une mère à son voisin, « nos enfants ont de la chance. »

« C'est même plutôt généreux de la part de la Sorcière, » ajouta un père.

Le charbon n'était plus une punition. C'était devenu un véritable trésor. Un cadeau pratique et utile. Les enfants qui en avaient reçu étaient enviés par ceux qui n'en avaient pas eu.

Dans sa maison de montagne, la Sorcière de Noël regardait tout cela par sa boule de cristal, complètement abasourdie.

« Quoi... Mais... Comment... »

Elle ne comprenait pas. Elle ne comprenait plus rien du tout.

Son plan avait fonctionné. Les enfants avaient été vilains. Elle avait distribué le charbon. Tout s'était déroulé exactement comme prévu.

Sauf que le résultat était l'inverse de ce qu'elle attendait.

Au lieu d'être punis, les enfants étaient récompensés. Au lieu d'être tristes, ils étaient heureux. Au lieu d'avoir honte, ils étaient fiers.

La Sorcière resta assise devant sa boule de cristal pendant des heures, confuse, perdue dans ses pensées.

Qu'est-ce qui s'était passé ? Où avait-elle échoué ?

Puis, lentement, très lentement, une vérité commença à émerger dans son esprit.

Ce n'était pas qu'elle avait échoué. Ce n'était pas qu'elle s'était trompée toutes ces années.

C'était que le monde avait changé.

Ce qui fonctionnait autrefois – les punitions, le charbon comme châtiment – ne fonctionnait plus aujourd'hui. Les enfants avaient évolué. Les familles avaient évolué. Les besoins avaient évolué.

Et elle ? Elle était restée figée dans ses anciennes méthodes, répétant les mêmes gestes année après année sans jamais se remettre en question.

« Les punitions ne servent à rien, » murmura-t-elle lentement, comme si elle découvrait cette vérité pour la première fois. « En leur donnant du charbon, en leur accordant cette attention négative, je leur ai donné de la valeur. J'ai transformé une punition en récompense sans même m'en rendre compte. »

Elle réalisa quelque chose d'encore plus profond : peut-être que si elle avait simplement ignoré les mauvais comportements au lieu de les punir avec du charbon, au lieu de leur accorder tant d'importance, les choses auraient été différentes.

Mais il y avait plus. Quelque chose de plus personnel, de plus douloureux à admettre.

« Et moi... » dit-elle à voix haute dans sa maison vide. « Moi, je voulais être au premier plan. Je voulais rivaliser avec le Père Noël. Je voulais être la plus importante, la plus reconnue. »

Elle ferma les yeux, honteuse.

« J'ai fait tout ça pour moi. Pas pour les enfants. Pour moi. »

C'était elle qui avait besoin de changer. Pas le monde. Pas le Père Noël. Elle.

Elle n'avait pas à être en compétition avec le Père Noël. Ils n'étaient pas des rivaux. Ils formaient une équipe. Chacun avait son rôle, son territoire, sa place. Et au lieu d'accepter cela, elle avait passé des décennies à être frustrée, jalouse, amère.

La Sorcière resta silencieuse longtemps, très longtemps, laissant ces vérités s'installer en elle.

Puis, elle se leva.

« Il est temps de changer, » dit-elle avec détermination. « Vraiment changer. En profondeur. »

Les mois suivants, la Sorcière se mit au travail.

D'abord, elle vida ses caves. Tout le charbon restant – et il en restait encore beaucoup – elle le distribua discrètement aux familles qui en avaient vraiment besoin pour se chauffer. Les familles pauvres. Les personnes âgées isolées. Ceux qui souffraient du froid.

Elle ne le faisait plus comme une punition, mais comme une aide. Et elle le faisait en silence, sans attendre de reconnaissance.

Ensuite, elle transforma complètement son approche. Plus de charbon pour les enfants pas sages. Terminé. Cette méthode appartenait au passé.

Désormais, elle ne distribuerait que des friandises. Uniquement des friandises.

Elle passa des mois à en préparer. Des bonbons au miel. Des chocolats maison. Des sucres d'orge colorés. Des caramels fondants. Des nougats aux amandes. Elle mit tout son cœur dans cette nouvelle mission.

Et elle inventa quelque chose de nouveau. Quelque chose qui n'avait jamais existé auparavant.

La nuit de Noël, elle ne se contenterait plus de remplir les chaussettes de friandises. Non. Elle créerait un chemin. Un chemin magique fait de petites friandises qui mènerait de la cheminée jusqu'au sapin.

Comme le Petit Poucet avec ses cailloux, mais en version féérique et sucrée.

Les enfants se réveilleraient le matin de Noël, découvriraient les friandises dans leurs chaussettes, puis remarqueraient le chemin scintillant qui serpentait à travers le salon jusqu'au sapin où les attendaient les cadeaux du Père Noël.

Un chemin de douceur. Un chemin de magie. Un chemin qui lierait son travail à celui du Père Noël, prouvant qu'ils étaient une équipe, pas des concurrents.

Depuis ce jour, chaque année, les enfants découvrent au matin de Noël des friandises dans leurs chaussettes et un mystérieux chemin sucré qui les guide vers le sapin.

Certains disent que c'est le Père Noël.

D'autres murmurent que c'est la Sorcière de Noël.

Mais personne ne sait vraiment.

Et peut-être que c'est mieux ainsi.

Car la magie réside aussi dans le mystère.

Fin