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R comme Rouspéteur - Le Rouspéteur et le sort du Lutin

 

Il était une fois, dans un petit village enneigé, un homme que tout le monde évitait. On l'appelait le Rouspéteur, car il passait ses journées à râler, critiquer et se plaindre de tout et de tous.

« Ces gredins ne servent à rien ! » maugréait-il en voyant les enfants jouer. « Quelle bande d'incapables ! » grommelait-il en croisant ses voisins.

Personne ne l'invitait plus. Personne ne lui parlait. Il vivait seul dans sa petite maison au bout de la rue, entouré seulement de son amertume. Et cela lui convenait parfaitement – ou du moins, c'est ce qu'il se disait.

La veille de Noël, le Rouspéteur sortit faire ses courses. Dans la rue principale, il croisa une vieille dame qui peinait à porter ses sacs.

« Regardez-moi ça ! Une vieille qui n'est même pas capable de porter deux malheureux sacs ! Pathétique ! »

La vieille dame baissa la tête et continua péniblement son chemin.

Plus loin, le boulanger décorait sa vitrine avec des guirlandes de houx.

« Ridicules, ces décorations de Noël ! Du temps et de l'argent gaspillés pour rien ! »

Le boulanger ne répondit rien, habitué à ses humeurs.

En tournant au coin de la rue, le Rouspéteur vit un groupe d'enfants construisant un bonhomme de neige.

« Bande de petits vauriens ! Vous feriez mieux de vous rendre utiles au lieu de perdre votre temps ! Gredins qui ne servent à rien ! »

Les enfants se turent, effrayés.

C'est alors qu'un petit homme apparut devant lui. Il portait un bonnet vert pointu orné d'une clochette, des oreilles en pointe dépassaient de ses cheveux roux, et ses yeux verts pétillaient d'une lueur sévère. C'était un lutin.

« Tu as rouspété une fois de trop, » dit le lutin d'une voix claire.

« Qui êtes-vous ? Fichez-moi la paix ! »

« Je suis celui qui va t'apprendre une leçon. Tu passes ton temps à cracher du venin sur les autres. Eh bien, désormais, tu cracheras autre chose. »

Avant qu'il puisse protester, le lutin leva sa main et traça un symbole brillant dans l'air. Des étincelles dorées tourbillonnèrent autour du Rouspéteur.

« Je te jette un sort. Désormais, chaque fois que tu rouspéteras sur un adulte, de l'or sortira de ta bouche. Et chaque fois que tu rouspéteras sur un enfant, un jouet – celui que cet enfant désire le plus – jaillira de tes lèvres. Tu voulais distribuer ta méchanceté ? Eh bien, tu distribueras de la générosité à la place ! »

Dans un éclat de rire cristallin, le lutin disparut dans un tourbillon de flocons dorés.

« Un lutin ! Des hallucinations, c'est tout, » marmonna le Rouspéteur en rentrant chez lui.

Le lendemain matin, jour de Noël, on frappa à sa porte. C'était le forgeron.

« Bonjour, je passais voir si vous aviez besoin de quelque chose pour les fêtes. »

« Ce dont j'ai besoin, c'est qu'on me laisse tranquille ! Et regardez-vous, même le jour de Noël vous êtes couvert de suie ! Quel incapable ! »

Soudain, le Rouspéteur sentit quelque chose de dur se former dans sa bouche. Il toussa...

CLANG ! CLANG ! CLANG !

Trois pièces d'or jaillirent de sa bouche et tombèrent aux pieds du forgeron.

« De l'or... Vous venez de cracher de l'or ! » s'exclama le forgeron, incrédule.

« Non ! Ce n'est pas... Rendez-moi ça ! »

Mais le forgeron s'enfuyait déjà avec son trésor.

Le Rouspéteur rentra, paniqué. « Ce n'est pas possible. C'était juste une coïncidence. »

Le soir venu, affamé, il dut ressortir. Devant l'épicerie fermée, une petite fille pleurait sur les marches glacées.

« Qu'est-ce que tu fais là ? Tu devrais être chez toi ! Petite peste inutile ! »

« Je... j'ai perdu la clé et j'ai si froid, » sanglota-t-elle.

Le Rouspéteur sentit quelque chose de plus gros se former dans sa gorge. Il toussa violemment...

POUF !

Un magnifique ours en peluche brun avec un ruban rouge jaillit et atterrit dans la neige.

« Un ours en peluche ! C'est exactement ce que j'ai demandé au Père Noël ! » s'émerveilla l'enfant.

Le Rouspéteur recula, terrifié. Cette fois, il ne pouvait plus nier. C'était le sort du lutin. C'était réel.

« Gardez-le ! Je m'en vais ! »

Il s'enfuit, laissant la fillette serrer l'ours contre son cœur.

Le surlendemain, tout avait changé.

Le forgeron avait raconté l'histoire à sa femme. La petite fille avait montré son ours à tous ses amis. Les rumeurs se répandirent comme une traînée de poudre.

« Le Rouspéteur crache de l'or ! » « Il fait apparaître des jouets magiques ! » « Il suffit qu'il vous insulte et vous recevez un cadeau ! »

Bientôt, une file de villageois se forma devant sa porte. Des adultes venus chercher de l'or. Des parents avec leurs enfants venus chercher des jouets. Tout le monde voulait sa part du miracle.

Le Rouspéteur, barricadé chez lui, les entendait frapper, supplier, exiger.

« Monsieur le Rouspéteur ! S'il vous plaît ! » « Rouspétez sur moi ! » « J'ai besoin d'argent pour les médicaments ! » « Mon fils rêve d'une toupie ! »

Ce qu'il voulait plus que tout – être seul, être tranquille – lui était maintenant totalement refusé. Il était devenu l'homme le plus sollicité du village.

C'était son cauchemar.

Finalement, épuisé, il capitula et sortit.

« Vous voulez que je rouspète ? TRÈS BIEN ! »

Et il commença. Pendant des heures.

« Vous, madame, vous êtes une commère insupportable ! » CLANG ! De l'or. « Toi, petit, tu es un garnement mal élevé ! » POP ! Un soldat de bois. « Vous sentez l'étable ! » CLANG ! Plus d'or. « Petite peste ! » POP ! Une poupée.

Il rouspétait, crachait de l'or et des jouets, encore et encore. Sa mâchoire lui faisait mal. Sa gorge brûlait. Il était épuisé. Et surtout, il réalisait l'horreur : en donnant tous ces cadeaux, il faisait exactement le contraire de ce qu'il voulait.

Pire encore : toute cette attention, ces demandes incessantes. C'était une torture.

Le troisième jour, il s'effondra sur son perron, à bout de forces.

« Je ne peux plus... »

Un petit garçon s'approcha timidement. C'était le fils du boulanger.

« Monsieur... est-ce que vous pourriez rouspéter sur moi ? Je voudrais un cheval de bois. Ma maman n'a pas pu me l'acheter... »

Le Rouspéteur leva les yeux vers l'enfant. Il ouvrit la bouche, prêt à être méchant.

Mais les mots ne vinrent pas.

Il regarda vraiment le petit garçon – ses yeux pleins d'espoir, son sourire timide, ses mains jointes.

Et quelque chose se brisa en lui.

« Tu... tu as l'air d'un gentil garçon. »

Le silence tomba. Tout le monde attendait l'or, le jouet.

Mais rien ne sortit. Pas d'or. Pas de jouet. Juste des mots gentils.

L'enfant cligna des yeux. « C'est vrai ? »

« Oui. Tu es poli. Tu penses à ta famille. Ce sont de belles qualités. »

L'enfant sourit, plus radieux encore. « Merci, monsieur ! Personne ne m'avait jamais dit ça ! »

Il s'éloigna en sautillant, sans son jouet, mais avec quelque chose de plus précieux dans le cœur.

La foule se dispersa, déçue. Le Rouspéteur se retrouva seul.

Mais ce silence ne lui semblait plus aussi bien qu'avant. Il était... vide.

Les jours suivants, le Rouspéteur fit une expérience. Il essaya d'être gentil.

Au début, c'était difficile. Les mots gentils lui semblaient étrangers. Mais peu à peu, quelque chose de surprenant se produisit.

Quand il dit bonjour à la boulangère, elle lui sourit et lui offrit une brioche.

Quand il complimenta le forgeron, l'homme lui serra la main : « Passez boire un verre un de ces jours. »

Quand il félicita les enfants pour leur bonhomme de neige, ils l'invitèrent à jouer.

Au fond de lui, une chaleur étrange commençait à grandir.

Un soir, le lutin réapparut, assis sur le rebord d'un puits.

« Alors ? Comment vas-tu, Rouspéteur ? »

« C'est étrange. Au début, j'ai essayé d'être gentil juste pour avoir la paix. Mais maintenant... ce n'est pas si mal. Les gens me sourient. Ils m'invitent. Et ça... ça fait quelque chose. »

Le lutin hocha la tête. « Tu as appris ta leçon. Le sort est levé. »

« Vraiment ? »

« Oui. Mais attention : si ton vice reprend de manière répétitive, le sortilège reprendra de plein droit. »

« Je comprends. »

« Une dernière chose. » Le lutin traça un symbole doré dans l'air. « Les habitants oublieront d'où venaient les cadeaux. Tu pourras recommencer à zéro, sans le poids de ton passé. »

Une lumière dorée enveloppa le village, effaçant doucement les souvenirs.

« Mais toi, tu te souviendras de tout. Pour ne jamais oublier qui tu étais et qui tu es devenu. »

« Merci, » murmura le Rouspéteur sincèrement.

Le lutin disparut dans un tourbillon de flocons dorés.

Les semaines passèrent, puis les mois.

L'homme qui s'était appelé le Rouspéteur n'était plus le même. Oh, il lui arrivait encore d'être de mauvaise humeur. Mais il avait appris quelque chose d'essentiel : les émotions étaient comme les saisons. On ne peut pas les empêcher de venir. On s'adapte. On accepte. On trouve la beauté même dans les jours difficiles.

Un matin, la boulangère lui demanda son nom.

« Je m'appelle Saison. »

« Quel joli nom ! Comme les quatre saisons ? »

« Exactement. On ne peut pas rouspéter contre l'hiver quand il arrive. On s'adapte. On accepte. Chaque saison a sa beauté. Chaque émotion aussi. »

« Vous devriez venir dîner chez nous ce soir. »

« J'aimerais beaucoup. Merci. »

Et c'est ainsi que l'homme qui ne voulait voir personne commença à être invité partout. Aux dîners. Aux fêtes. Aux anniversaires. Les enfants couraient vers lui pour lui montrer leurs dessins. Les voisins s'arrêtaient pour bavarder. La vieille dame lui apportait des biscuits. Le forgeron l'appelait son ami.

Il n'était plus seul.

Un soir de décembre, exactement un an après le sortilège, Saison avait invité tous ses amis chez lui pour célébrer Noël. Sa petite maison – celle qui avait été si vide, si froide – était maintenant pleine à craquer, débordante de vie.

Les enfants jouaient autour du sapin. Les adultes trinquaient. L'odeur de cannelle et de pain d'épices flottait dans l'air. Des rires résonnaient partout.

« À vous, Monsieur Saison ! » dit le forgeron en levant son verre. « Vous êtes devenu un ami précieux ! »

« À Saison ! » crièrent tous les invités.

Saison leva son verre, des larmes de joie aux yeux. Il regarda sa maison pleine de gens qu'il aimait. Cette même maison qui n'avait connu que le silence glacé.

« À l'acceptation, » dit-il. « Et à toutes les saisons de la vie. »

Le petit garçon s'approcha timidement. « J'ai quelque chose pour vous. »

Il lui tendit un dessin aux crayons de couleur. On y voyait un homme souriant entouré d'enfants et d'adultes joyeux. En haut : « Mersi Monsieur Saison. Vous êtes gentil. »

Le cœur de Saison se serra. « C'est le plus beau cadeau qu'on m'ait jamais fait. »

Plus beau que tout l'or craché. Plus précieux que tous les jouets magiques. Car c'était un cadeau du cœur.

La soirée continua dans la joie. Quand les invités partirent bien après minuit, Saison se retrouva seul dans sa maison.

Mais ce n'était plus la solitude d'avant. Sa maison sentait encore les épices et les rires. Partout, il y avait des traces de vie, de présence, d'amour.

Il accrocha le dessin au-dessus de sa cheminée.

Avant de se coucher, debout devant la fenêtre, regardant les étoiles, il murmura :

« Merci. Merci de m'avoir sauvé de moi-même. »

Car il avait compris : on peut choisir comment traverser les moments difficiles. On peut choisir d'accueillir plutôt que de rejeter. Et alors, la vie devient infiniment plus belle.

Saison s'endormit avec un sourire paisible, en rêvant de printemps.

Fin